C’est dans leurs tout nouveaux locaux, que Karim et Slim ont accueilli Youma Magazine. Les propriétaires de la boucherie « les jumeaux » sont connus et reconnus pour leur engagement en faveur d’une viande bio et halal de qualité. Autour d’un thé, nous évoquons leur parcours mais aussi le regard qu’ils portent sur l’éthique et les habitudes de consommation.
Vous avez lancé votre boucherie il y maintenant 8 ans. A l’époque, les questions autour du « manger mieux », du bio et du bien être animal étaient beaucoup moins mises en avant. Qu’est-ce qui vous a donc poussé vers cette voie ?
Quand on a ouvert, on était très jeunes, on avait 20 ans. On n’a pas tout de suite eu l’idée de faire du bio… parce qu’on était pas conscients de l’élevage. Quelqu’un qui ne connait rien à l’élevage pense naïvement que les animaux sont un minimum en plein air. En fait, ce n’est pas du tout le cas…
Quoi qu’il en soit, notre projet initial c’était d’ouvrir une boucherie avec de la viande certifiée, sans bouteille de soda partout… On s’est dit qu’on allait essayer de faire quelque chose de propre et à notre image.
Qu’est ce qui vous a poussé à arrêter la viande industrielle ?
Une grosse prise de conscience ! La deuxième année on a voulu savoir comment étaient élevés les animaux et on a eu la chance de pouvoir visiter un abattoir et un élevage.
Ce n’était pas terrible du tout… ça nous a fait prendre conscience qu’on servait de la merde ! On est musulmans et on est acteurs de ça, on a une responsabilité dans tout ça quelque part. Donc du coup on a stoppé tout ça… Du jour au lendemain, on a arrêté l’industriel. Après c’était de l’industriel français certifié… ça ne venait pas de Belgique ou de Turquie où les conditions d’élevages sont encore moins bonnes… C’était des produits français mais ça restait quand même de l’élevage industriel. On s’est dit en tant que musulmans, on ne peut pas faire ça.
Puis vous vous êtes mis au bio deux ans plus tard…
En 2014, au bout de notre quatrième année d’ouverture, on a débuté par le bœuf bio. Quelques mois après, on a mis en place, avec plusieurs abattoirs, l’ensemble de la gamme bio : poulet bio, veau bio, agneau bio, bœuf bio…
Ça à l’air simple dit comme ça mais on a eu pas mal de soucis. Il y a des organismes, des associations qui sont contre le fait de faire du bio halal. Notre projet a été remis en cause plusieurs fois et on a failli le stopper. Il y a même un abattoir qui a arrêté de travail avec nous à cause de ça. Heureusement nous avons persévéré et avons pu proposer de la viande bio à nos clients..
Mais vous ne vous êtes pas arrêté là…
Après la mise en place de la gamme bio, on était contents mais pas tout à fait satisfaits (rires). C’est-à-dire qu’on avait un produit correct, bon… mais juste bon. Nous ce qu’on voulait, c’était faire du haut de gamme !
L’atout qu’on avait, c’est que comme la clientèle n’a pas eu la chance d’avoir une viande de qualité, elle ne s’y connait pas. Nous, on ne s’y connaissait pas non plus, donc on pouvait tout explorer. On a commencé à travailler plusieurs races de viande comme l’Aubrac et on s’est aperçu que la viande était différente, meilleure… Alors pourquoi pas tester d’autres choses ? On s’est donc mis en relation avec un premier éleveur qui n’a pas donné suite, puis pareil pour le deuxième , le troisième et ainsi de suite…
Pourquoi ça n’a pas marché ?
Parce que pour ces éleveurs là, viande halal = mauvaise qualité. On leur disait que nous, nous voulions de la bonne qualité… et c’est là que ça bloquait . Avec le temps, en démarchant plutôt de jeunes éleveurs, moins bornés (rires) notre patience a porté ses fruits. On a rencontré un jeune éleveur qui s’appelle Aurélien, là ça a bien marché ! Tout de suite, il a compris ce qu’on voulait.
Qualité oblige, on a acheté la viande beaucoup plus chère, ce qui lui permettait aussi au final de gagner plus d’argent. C’est très bien et important d’avoir un éleveur respecté financièrement car aujourd’hui en France ils sont très mal payés et c’est dommage. Avec lui, on a commencé à faire du haut de gamme, de la qualité : du poulet de Bresse, de l’agneau de prés salés…
Aujourd’hui vous avez une clientèle bien établie mais pour beaucoup de consommateurs musulmans la notion de halal se limite à l’abattage rituel. Le bien être des animaux n’est pas une préoccupation majeure. Avez-vous un rôle à jouer auprès de ce public ?
Notre rôle c’est de sensibiliser. On participe aux journées du halal, on fait des interventions dans les écoles, auprès d’associations, on est intervenu dernièrement auprès de l’OMAS ( Organisation musulmane des acteurs de santé ndlr.)… On fait ça gratuitement, médiatiquement et économiquement ça n’a pas d’impact, ce ne sont pas de futurs clients. Mais il y a un message derrière à faire passer, il n’y a pas que l’argent qui compte. Du coup, nous on sensibilise les gens comme ça. Notre devoir c’est ça.
Ce qui freine certains consommateurs c’est le prix de la viande. Peux t-on combiner halal, éthique et économique ?
Le consommateur veut ruiner l’éleveur et le boucher. Aujourd’hui on veut payer 1 € ou 2 € de plus que l’industriel et manger bio… Et il faut que ce soit meilleur en plus ! Les gens veulent manger bio mais moins cher. Il faut se rappeler que manger bio ce n’est pas anodin , c’est une prise de conscience personnelle .
En fait, on a pris de mauvaises habitudes. Les anciennes générations mangeaient de la viande occasionnellement . Les générations suivantes, en émigrant en France où la viande est plus accessible se sont mises à en consommer plus. La consommation est passé d’occasionnelle (Aïd, mariages ) à régulière voire très régulière. La viande était alors synonyme de richesse. Il y a eu une surconsommation de la viande. Cela a boosté le secteur industriel avec la création d’élevages dédiés où il y a très peu de confort pour l’animal, qui est en souffrance pour sa chair.
Donc si on veut manger de la viande bio et élevé dans de bonnes conditions, il faut en manger moins en fait ?
Oui
Et ce n’est pas bizarre que des bouchers disent ça ?
Non, On préfère avoir un client sur le long terme, qui vivra plus longtemps ( rires ) et qui ne mourra pas d’un diabète ou de cholestérol parce qu’il a acheté trop de viande chez nous (rires). La viande ce n’est pas bon pour la santé, ce n’est pas bon pour la planète et pour l’animal. Plus on fait de l’abattage, plus il y a de souffrance animale. Nous, avec nos sacrificateurs… c’est l’avantage qu’on a, vu que c’est très petit, il y a moins de souffrance animale. Ça joue quoi, entre tuer 100 poulets et 10 000 poulets en une heure, il y a une différence.
Pour vous « éthique » ça veut dire quoi ? Parce que c’est un terme un peu vague parfois
Une viande éthique, c’est un animal élevé en plein air, qui a reçu une bonne alimentation et pour lequel il y a un respect dans l’abattage. C’est aussi un animal qui n’a pas reçu de produits chimiques. Attention, un animal qui a reçu un antibiotique pour être soigné je trouve ça toujours éthique. Mais lui donner constamment, je ne suis pas d’accord. Pour une vache malade, si on a le choix entre lui donner un antibiotique ou la laisser mourir il faut lui donner. Je pense que c’est plus halal de la soigner plutôt que de la laisser mourir. Voila ce qui est éthique pour nous !
Merci beaucoup pour ces réponses ! Maintenant si vous le voulez bien, vous allez nous aider… Parce que vous avez monté votre affaire à deux et la boucherie s’appelle « les jumeaux ». C’est votre marque de fabrique mais on aimerait bien vous connaitre un peu mieux individuellement. Alors c’est parti pour l’interview des jumeaux ! Comment on fait pour vous différencier l’un de l’autre ? Karim : Il y’en a un qui est plus gros que l’autre, il y en a un qui est plus petit que l’autre et il y en a un qui est plus chauve que l’autre Lequel aime le plus la viande ? Slim : C’est des bonnes questions… aucune idée, je pense qu’on est pareil Qui est le plus drôle? Karim: C’est moi Slim : non, c’est moi ! Karim : T’es un ouf toi, c’est moi qui raconte toutes les blagues. Alors ? Euh… Bon on zappes ( rires).Qui était le moins sage, enfant ? Slim : c’est moi ! Qui est le plus sportif ? Karim. : Ça ne se voit pas, mais c’est moi (rires) Qui est le plus gourmand ? Brouhaha entre les mots de Karim et Slim Karim : Je ne répondrai pas à cette question madame (rires), ça se voit Qui est le plus tête en l’air ? Slim : Karim ! |
Vous pouvez retrouvez la boucherie les jumeaux au 99 rue de Paris dans la ville des Lilas (93). Pour suivre leur actualité rendez-vous sur le site www.boucherie-lesjumeaux.com ou sur la page Facebook « les jumeaux les lilas ».