J’ai toujours fait l’expérience du multiculturalisme, mais elle variait selon le milieu que je fréquentais ou les études que je faisais, et davantage (mais à un degré plutôt singulier) depuis que je me suis voilée.
Etre Noire et porter chaque jour le brassage de plusieurs cultures dépend, à mon sens, de ces facteurs qui déterminent ce qu’on représente aux yeux des gens. Jusqu’alors, je suis toujours passée pour une Noire de culture sénégalaise et française, ou tout simplement de culture française (une binarité plutôt sympathique pour qui n’en connaît pas les difficultés qu’elle peut engager) . J’ai eu un parcours scolaire très porté sur la littérature et, du même coup, je fréquentais des cercles d’amis aux yeux desquels j’étais une sorte d’ambassadrice Africaine implantée dans un cercle d’amis majoritairement blanc, un élément exotique et d’autant plus agréable qu’elle n’était pas en décalage avec le reste du groupe. En aucun cas il n’était question de religion : c’est comme si un Noir, par définition, n’est rattaché à aucune confession.
J’ai porté le voile en août 2017, le lendemain de la fin de mon contrat d’agent d’accueil. J’avais nourri depuis un an le projet de passer ce cap et cela a été plus aisé que je ne le redoutais. Je n’ai pas perçu de changement radical de la part de mon entourage, très favorable à cette décision. Mes frères et moi avons, au même moment, commencé à nous consacrer à l’étude de la religion et nous étions à peu près sur la même longueur d’ondes.
Quant à ma famille en général, elle compte peu de jeunes femmes voilées, notamment parce qu’il y a un certain conformisme institué par les parents, et qui les destine à des carrières professionnelles incompatibles avec le port du voile. Entre cousines, les relations sont cordiales même si un décalage est notable entre nous, et qui se fonde sur la religion et sa pratique. Toutefois, nous sommes toutes élancées à la même ambition, c’est-à-dire les diplômes et la carrière professionnelle. Être la seule (ou parmi les seules) à avoir un hidjab distingue également de ce groupe avec qui j’ai en commun l’âge et la culture.
Quant aux oncles, ils voient toujours d’un œil désapprobateur, moqueur ou profondément hostile notre choix de vie. Dès lors qu’on ne serre plus leur main ou qu’on observe une certaine distance, ou prononçons mots arabes ou versets tels que nous l’enseignent des professeurs compétents, c’est l’avalanche de remarques sur l’invasion des Arabes sur notre mode de vie « africain », critique assez paradoxale. A croire qu’ en appliquant des préceptes religions, nous rejetons toute forme d’intégration en France.
Si, pour ma part, j’ai toujours été et je demeure la fille que j’étais, cette évidence ne l’a pas été pour mes amis. Dès lors que je l’ai mis, je m’étais dit qu’il y avait des fréquentations auxquelles il fallait renoncer : porter le voile suggérait également une réforme dans mon mode de vie. Toutefois, il y a des plaisirs auxquels on ne se refuse pas, mais que des amis ne veulent plus partager avec vous parce que désormais, vous êtes voilée. Difficile de défaire vos amis d’une répulsion secrète envers tout ce qui évoque l’islam… Ces amis se sont détournés de moi.
En fin de compte, ce que nous vivons est une expérience très singulière à définir. Toutefois, il en ressort un enrichissement personnel qui permet d’aborder l’autre, et plus largement la société avec une grande largesse d’esprit.